莫泊桑小说橄榄园le Champs d'olivier -11

莫泊桑小说橄榄园le Champs d'olivier -11

00:00
11:09

Philippe-Auguste raconta :

— Ah ! ah ! ah ! J’en ai eu une vie, moi, depuis la maison de correction, une drôle de vie qu’un grand romancier payerait cher. Vrai, le père Dumas, avec son Monte-Cristo, n’en a pas trouvé de plus cocasses que celles qui me sont arrivées.

Il se tut, avec une gravité philosophique d’homme gris qui réfléchit, puis, lentement :

— Quand on veut qu’un garçon tourne bien, on ne devrait jamais l’envoyer dans une maison de correction, à cause des connaissances de là-dedans, quoi qu’il ait fait. J’en avais fait une bonne, moi, mais elle a mal tourné. Comme je me baladais avec trois camarades, un peu éméchés tous les quatre, un soir, vers neuf heures, sur la grand-route, auprès du gué de Folac, voilà que je rencontre une voiture où tout le monde dormait, le conducteur et sa famille ; c’étaient des gens de Martinon qui revenaient de dîner à la ville. Je prends le cheval par la bride, je le fais monter dans le bac du passeur et je pousse le bac au milieu de la rivière. Ça fait du bruit, le bourgeois qui conduisait se réveille, il ne voit rien, il fouette. Le cheval part et saute dans le bouillon avec la voiture. Tous noyés ! Les camarades m’ont dénoncé. Ils avaient bien ri d’abord en me voyant faire ma farce. Vrai, nous n’avions pas pensé que ça tournerait si mal. Nous espérions seulement un bain, histoire de rire.

"Depuis ça, j’en ai fait de plus raides pour me venger de la première, qui ne méritait pas la correction, sur ma parole. Mais ce n’est pas la peine de les raconter. Je vais vous dire seulement la dernière, parce que celle-là elle vous plaira, j’en suis sûr. Je vous ai vengé, papa.

L’abbé regardait son fils avec des yeux terrifiés, et il ne mangeait plus rien.

Philippe-Auguste allait se remettre à parler.

— Non, dit le prêtre, pas à présent, tout à l’heure.

Se retournant, il battit et fit crier la stridente cymbale chinoise.

Marguerite entra aussitôt.

Et son maître commanda, avec une voix si rude qu’elle baissa la tête, effrayée et docile :

— Apporte-nous la lampe et tout ce que tu as encore à mettre sur la table, puis tu ne paraîtras plus tant que je n’aurai pas frappé le gong.

Elle sortit, revint et posa sur la nappe une lampe de porcelaine blanche coiffée d’un abat-jour vert, un gros morceau de fromage, des fruits, puis s’en alla.


Et l’abbé dit résolument :

— Maintenant, je vous écoute.

Philippe-Auguste emplit avec tranquillité son assiette de dessert et son verre de vin. La seconde bouteille était presque vide, bien que le curé n’y eût point touché.

Le jeune homme reprit, bégayant, la bouche empâtée de nourriture et de saoulerie :

— La dernière, la voilà. C’en est une rude : J’étais revenu à la maison… et j’y restais malgré eux parce qu’ils avaient peur de moi… peur de moi… Ah ! faut pas qu’on m’embête, moi… je suis capable de tout quand on m’embête… Vous savez… ils vivaient ensemble et pas ensemble. Il avait deux domiciles, lui, un domicile de sénateur et un domicile d’amant. Mais il vivait chez maman plus souvent que chez lui, car il ne pouvait plus se passer d’elle. Ah !… en voilà une fine, et une forte… maman… elle savait vous tenir un homme, celle-là ! Elle l’avait pris corps et âme, et elle l’a gardée jusqu’à la fin. C’est-il bête, les hommes ! Donc, J’étais revenu et je les maîtrisais par la peur. Je suis débrouillard, moi, quand il faut, et pour la malice, pour la ficelle, pour la poigne aussi, je ne crains personne. Voilà que maman tombe malade et il l’installe dans une belle propriété près de Meulan, au milieu d’un parc, grand comme une forêt. Ça dure dix-huit mois environ… comme je vous ai dit. Puis nous sentons approcher la fin. Il venait tous les jours de Paris, et il avait du chagrin, mais là, du vrai.

Donc un matin, ils avaient jacassé ensemble près d’une heure, et je me demandais de quoi ils pouvaient jaboter si longtemps quand on m’appelle. Et maman me dit :

— Je suis près de mourir et il y a quelque chose que je veux te révéler, malgré l’avis du comte. — Elle l’appelait toujours "le comte" en parlant de lui. — C’est le nom de ton père, qui vit encore.

Je le lui avais demandé plus de cent fois… plus de cent fois… le nom de mon père… plus de cent fois… et elle avait toujours refusé de le dire…

Je crois même qu’un jour j’y ai flanqué des gifles pour la faire jaser, mais ça n’a servi de rien. Et puis, pour se débarrasser de moi, elle m’a annoncé que vous étiez mort sans le sou, que vous étiez un pas grand-chose, une erreur de sa jeunesse, une gaffé de vierge, quoi. Elle me l’a si bien raconté que j’y ai coupé, mais en plein, dans votre mort.

Donc elle me dit :

— C’est le nom de ton père.

L’autre, qui était assis dans un fauteuil, réplique comme ça, trois fois :

— Vous avez tort, vous avez fort, vous avez tort, Rosette.

Maman s’assied dans son lit. Je la vois encore avec ses pommettes rouges et ses yeux brillants, car elle m’aimait bien tout de même ; et elle lui dit :

— Alors faites quelque chose pour lui, Philippe !

En lui parlant, elle le nommait "Philippe" et moi "Auguste".

Il se mit à crier comme un forcené :

— Pour cette crapule-là, jamais, pour ce vaurien, ce repris de justice, ce… ce… ce…

Et il en trouva des noms pour moi, comme s’il n’avait cherché que ça toute sa vie.

J’allais me fâcher, maman me fait taire, et elle lui dit :

— Vous voulez donc qu’il meure de faim, puisque je n’ai rien, moi.

Il répliqua, sans se troubler :

— Rosette, je vous ai donné trente-cinq mille francs par an, depuis trente ans, cela fait plus d’un million. Vous avez vécu par moi en femme riche, en femme aimée, j’ose dire, en femme heureuse. Je ne dois rien à ce gueux qui a gâté nos dernières années et il n’aura rien de moi. Il est inutile d’insister. Nommez-lui l’autre si vous voulez. Je le regrette, mais je m’en lave les mains.

Alors, maman se tourne vers moi. Je me disais : "Bon… v’là que je retrouve mon vrai père… ; s’il a de la galette, je suis un homme sauvé…"

Elle continua :

— Ton père, le baron de Vilbois, s’appelle aujourd’hui l’abbé Vilbois, curé de Garandou, près de Toulon. Il était mon amant quand je l’ai quitté pour celui-ci.

Et voilà qu’elle me conte tout, sauf qu’elle vous a mis dedans aussi au sujet de sa grossesse. Mais les femmes, voyez-vous, ça ne dit jamais la vérité.

Il ricanait, inconscient, laissant sortir librement toute sa fange. Il but encore, et la face toujours hilare, continua :

— Maman mourut deux jours… deux jours plus tard. Nous avons suivi son cercueil au cimetière, lui et moi… est-ce drôle…., dites… lui et moi… et trois domestiques… c’est tout. Il pleurait comme une vache… nous étions côte à côte… on eût dit papa et le fils à papa.

Puis nous voilà revenus à la maison. Rien que nous deux. Moi je me disais : "Faut filer, sans un sou." J’avais juste cinquante francs. Qu’est-ce que je pourrais bien trouver pour me venger ?

Il me touche le bras, et me dit :

— J’ai à vous parler.

Je le suivis dans son cabinet. Il s’assit devant sa table, puis, en barbotant dans ses larmes, il me raconte qu’il ne veut pas être pour moi aussi méchant qu’il le disait à maman ; il me prie de ne pas vous embêter… - Ça…, ça nous regarde, vous et moi… - Il m’offre un billet de mille… mille… mille… qu’est-ce que je pouvais faire avec mille francs… moi… un homme comme moi ? Je vis qu’il y en avait d’autres dans le tiroir, un vrai tas. La vue de c’papier-là, ça me donne envie de chouriner Je tends la main pour prendre celui qu’il m’offrait, mais au lieu de recevoir son aumône, je saute dessus, je le jette par terre, et je lui serre la gorge jusqu’à lui faire tourner de l’œil ; puis, quand je vis qu’il allait passer, je le bâillonne, je le ligote, je le déshabille, je le retourne et puis. ah ! ah ! ah !… je vous ai drôlement vengé !…

Philippe-Auguste toussait, étranglé de joie, et toujours sur sa lèvre relevée d’un pli féroce et gai, l’abbé Vilbois retrouvait l’ancien sourire de la femme qui lui avait fait perdre la tête.

— Après ? dit-il.

— Après… Ah ! ah ! ah !… Il avait grand feu dans la cheminée… c’était en décembre… par le froid… qu’elle est morte… maman… grand feu de charbon… Je prends le tisonnier… je le fais rougir… et voilà… que je lui fais des croix dans le dos, huit, dix, je ne sais pas combien, puis je le retourne et je lui en fais autant sur le ventre. Est-ce drôle, hein ! papa. C’est ainsi qu’on marquait les forçats autrefois. Il se tortillait comme une anguille… mais je l’avais bien bâillonné, il ne pouvait pas crier. Puis, je pris les billets - douze - avec le mien ça faisait treize… ça ne m’a pas porté chance. Et je me suis sauvé en disant aux domestiques de ne pas déranger M. le comte jusqu’à l’heure du dîner parce qu’il dormait.


以上内容来自专辑
用户评论

    还没有评论,快来发表第一个评论!