卢梭自传体小说忏悔录 les confessions-19(附文本)

卢梭自传体小说忏悔录 les confessions-19(附文本)

00:00
02:57

C’était en vérité une singulière personne que cette petite mademoiselle Goton. Sans être belle, elle avait une figure difficile à oublier, et que je me rappelle encore, souvent beaucoup trop pour un vieux fou. Ses yeux surtout n’étaient pas de son âge, ni sa taille, ni son maintien. Elle avait un petit air imposant et fier très propre à son rôle, et qui en avait occasionné la première idée entre nous. Mais ce qu’elle avait de plus bizarre était un mélange d’audace et de réserve difficile à concevoir. Elle se permettait avec moi les plus grandes privautés, sans jamais m’en permettre aucune avec elle ; elle me traitait exactement en enfant : ce qui me fait croire, ou qu’elle avait déjà cessé de l’être, ou qu’au contraire elle l’était encore assez elle-même pour ne voir qu’un jeu dans le péril auquel elle s’exposait.

J’étais tout entier, pour ainsi dire, à chacune de ces deux personnes, et si parfaitement, qu’avec aucune des deux il ne m’arrivait jamais de songer à l’autre. Mais du reste rien de semblable en ce qu’elles me faisaient éprouver. J’aurais passé ma vie entière avec mademoiselle de Vulson, sans songer à la quitter ; mais en l’abordant ma joie était tranquille et n’allait pas à l’émotion. Je l’aimais surtout en grande compagnie ; les plaisanteries, les agaceries, les jalousies même m’attachaient, m’intéressaient ; je triomphais avec orgueil de ses préférences près des grands rivaux qu’elle paraissait maltraiter. J’étais tourmenté, mais j’aimais ce tourment. Les applaudissements, les encouragements, les ris m’échauffaient, m’animaient. J’avais des emportements, des saillies, j’étais transporté d’amour ; dans un cercle, tête à tête j’aurais été contraint, froid, peut-être ennuyé. Cependant je m’intéressais tendrement à elle, je souffrais quand elle était malade : j’aurais donné ma santé pour rétablir la sienne ; et notez que je savais très bien par expérience ce que c’était que maladie, et ce que c’était que santé. Absent d’elle, j’y pensais, elle me manquait ; présent, ses caresses m’étaient douces au cœur, non aux sens. J’étais impunément familier avec elle ; mon imagination ne me demandait que ce qu’elle m’accordait : cependant je n’aurais pu supporter de lui en voir faire autant à d’autres. Je l’aimais en frère ; mais j’en étais jaloux en amant.


以上内容来自专辑
用户评论

    还没有评论,快来发表第一个评论!